Rapport de synthèse

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Rapport de synthèse

 

Hervé Lécuyer

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)

 

 

Comment mes premiers propos pourraient-ils être dirigés vers d’autres que les organisateurs de cette superbe manifestation ? L’assistance m’autorisera-t-elle à endosser le rôle de mandataire pour leur adresser les plus vifs félicitations et remerciements.

 

Remerciements pour cette organisation parfaite, félicitations pour la haute teneur des débats que nous avons suivis depuis hier matin. Félicitations aussi pour le choix du thème qui fut approfondi ces dernières 48 heures. Nul ne doute désormais qu’il était d’une rare pertinence.

 

Colloque sur le droit de la consommation à Maurice.

 

Un sujet, un objet, un lieu.

 

Un lieu : Maurice. Situer l’action et la réflexion en ce lieu était essentiel et plus que judicieux.

 

Ancrer l’intrigue pour la développer dans les contours d’un Etat défini, donne à cette intrigue sa coloration particulière et unique.

 

Un pays, c’est une histoire, une culture, des besoins, une méthode qui lui sont propres.

Soraya Amrani Mekki l’a montré, illustré, par la class action dans ce riche échange avec Maître P.D. Lallah… A chaque pays, sa class action…

 

L’histoire de Maurice a conféré un sel et un sens tout particuliers. M. Matadeen, Chef juge à la Cour suprême, l’a souligné dès hier matin, en ouverture des travaux : l’histoire de Maurice est, entre autres, nourrie par la colonisation. Le passé éclaire, pour beaucoup, le présent.  Et M. Matadeen d’insister sur le fait que le Droit privé mauricien est toujours axé sur le modèle français. Mais l’Albion terrassa Napoléon, et la conduite, à Maurice, se fit à gauche…

 

France-Angleterre associés, successivement, au destin de Maurice, engendrèrent, par une osmose exceptionnelle et originale cette mixité du droit mauricien sur laquelle insista Jean-Baptiste Seube, qui y vit une véritable force permettant de puiser à deux traditions juridiques qu’on présente trop souvent comme étant opposées voire antagonistes.

 

Cette osmose explique beaucoup des questions aujourd’hui soulevées à propos du droit de la consommation, notamment celle, passionnante, de la nécessité ou du moins de l’opportunité de recourir à la codification. Nul n’oublie les échanges d’hier matin. Laurent Leveneur a délivré un message favorable à la codification du droit de la consommation, faveur partagée par M. Yvan Jean-Louis, qui a marqué son attachement à l’héritage des codes, mais a néanmoins fait part de réserves quant à la perspective d’une codification du droit de la consommation. Les échanges sur ce point se sont poursuivis avec la salle, mano a mano superbe entre droit continental et common law.

 

Le lieu véhicule l’histoire, engendre une culture, et spécifie les besoins.

C’est à Maurice et pour Maurice qu’il faut penser le droit de la consommation.

Certes, les besoins en la matière sont parfois ressentis de façon universelle, au moins dans toutes économies disposant d’un niveau de développement sensiblement équivalent. Et le Docteur Georgijevic, avec qui j’eus Bordeaux en partage, a souligné sur ce point que la consommation était bien développée à Maurice.

 

Laurent Leveneur touchait du doigt l’universel hier, expliquant la genèse du droit de la consommation à partir de l’essor de la société de consommation au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le besoin de protection du consommateur, face au grossissement des entreprises commerciales, au développement de la publicité et du crédit, à l’épanouissement des techniques de marketing, est sans doute le même, sous toutes les latitudes.

 

L’universalisme du besoin est sans doute aussi commandé par l’avènement de la mondialisation, et la nécessité pour chaque Etat, aux fins de performance économique, de soigner sa réputation pour préserver sa place dans le commerce mondial.

Romain Loir l’a envisagé après Laurent Leveneur. Et madame Sophie Maysonnave insista aussi, dès l’ouverture du colloque, sur cette dimension.

 

La protection du consommateur n’est plus alors une fin en soi, mais un moyen au service d’une fin : la performance économique. 

 

Mais des besoins propres à chaque société se révèlent également, pouvant commander une réponse adaptée et spécifique à la société concernée.

 

210 roupies et 100 g minimum… Le pain maison est mauricien.

 

Le 3e élément de l’intitulé : le lieu, est bien un élément déterminant, Laurent Leveneur l’a souligné par l’illustration vietnamienne : pas question de pain, là-bas, mais de lait…

 

 

***

 

 

Un lieu, un objet : la consommation. Voilà le substantif cause de toutes les ambiguïtés, comme l’a souligné Laurent Leveneur hier après-midi, dans les débats qui suivirent la table ronde.

 

 

Jean-Baptiste Seube a rappelé hier matin, l’étymologie du verbe consommer fruit de la conjonction de cum (avec) et de summa (la somme). Faire la somme, c’est achever un processus, d’où l’on voit d’ailleurs, grâce au latin, la proximité entre consommer et consumer.

 

Mais ce mot est bien le siège de toutes les ambiguïtés et confusions, car, à s’en tenir à l’acception que l’étymologie commande, on saisirait toute personne située au dernier stade du processus économique, ce qui affecterait la cohérence de la branche et engendrerait une protection au profit de personnes qui ne le méritent pas, voire qui ne l’attendent pas.

 

***

 

 

Un lieu, un objet, un sujet : le droit

 

Le droit objet de toutes nos passions, eut dit le Doyen Carbonnier, auquel Maître André Robert a si bien rendu hommage, comme Soraya Amrani Mekki. Ce droit qu’on pétrit, qu’on travaille au service de l’intérêt social. Ce droit, objet des attentions des juristes mauriciens, qui réfléchissent, aujourd’hui, à la nécessité de sa réforme.

 

L’intitulé de ce colloque, ordonné autour de ces trois piliers, était annonciateur de la richesse des débats.

 

Mais l’intitulé ne dit pas tout : notamment, il ne comporte pas de dimension temporelle. Le droit de la consommation à Maurice est-il saisi dans le passé, de lege lata, de lege ferenda ?

 

Le passé ne fut pas absent. L’on remonta dans le temps, jusqu’à 71 av. JC et Spartacus, avec Monsieur Sabir Kadel, puis il y eut une halte répétée au XIXe siècle, dans les propos de M. Matadeen, ceux de Jean-Baptiste Seube et de L. Leveneur, notamment…

 

Le présent fut omni présent, tandis qu’on s’est interrogé sur son avenir.

 

Aucune dimension n’a manqué. La réflexion prit ses racines dans le passé, porta sur la droit présent, et multiplia les efforts pour dessiner les contours du droit futur.

 

 L’ellipse – et non l’éclipse - de l’intitulé, qui tut toute perspective temporelle, permit ainsi aux propos de s’épanouir dans toutes les dimensions du temps, ce temps après lequel courut Pascal Puig, invité à parcourir les 2/3 du droit de la consommation, mais qu’il intégra si magnifiquement dans son propos pour articuler ce dernier, opposant le temps de l’achat à celui de la consommation.

 

 

L’intitulé était donc parfait, même dans ses silences. Il permit à chacun des contributeurs de pleinement s’épanouir dans le cadre ainsi dessiné et de contribuer substantiellement à la réflexion sur la pertinence et le sens d’une possible réforme du droit de la consommation à Maurice, notamment à la lumière du droit français, modèle dont on peut s’éloigner peu ou prou (si l’on suit, là encore, Pascal Puig, qui a dénoncé la complexité du dispositif français, le ciel français étant ici assombri par les cumulonimbus bruxellois, même si Laurent Leveneur vit l’éclaircie ou si l’on suit Mustapha Mekki qui a invité, à propos du projet 2012-2013 à recevoir avec réserve les dispositions du droit français protégeant la caution).

 

Les réflexions sur le contenu du droit de la consommation, d’un droit idéal, ont émaillé les propos de tous. Mais il est une question préalable qui a provoqué chacun depuis hier. Avant même de travailler sur une matière, encore faut-il l’identifier. Or, ce travail d’identification, relativement au droit de la consommation, s’avère particulièrement délicat, on en est désormais convaincu.

 

 

Autrement dit, l’identification du droit de la consommation (I) précède nécessairement l’érection d’un droit de la consommation (II).

 

 

 

 

I-                   L’Identification du droit

 

Une tâche préalable, redoutable, a été assignée à tous les intervenants : identifier et isoler le droit de la consommation.

Maurice nous permet d’avoir, sur ce travail d’identification, une double approche : une approche bien française, continentale, qui suppose d’appréhender le droit de la consommation de l’intérieur, intrinsèquement, pour en définir la consistance ; mais l’on doit doubler cette première tendance d’une approche plus anglaise, qui appréhende les notions par la comparaison, extrinsèquement.

 

Faisons la synthèse de ces deux aspirations, et admettons que l’identification du droit de la consommation suppose un double mouvement : le premier, s’attache à la désignation du droit de la consommation (A) ; le second à la distinction du droit de la consommation des autres branches du droit (B).  Désigner, puis distinguer, doit permettre d’isoler et d’identifier l’objet de nos préoccupations.

 

A.     La désignation

 

La désignation. Voici un singulier pluriel, eut dit Rémy Cabrillac. Ce travail de désignation de ce qu’est le droit de la consommation s’avéra être une tâche particulièrement redoutable.

Surtout qu’elle est double ! il s’agit, d’abord, de désigner une branche du droit, mais il s’agit aussi de désigner un sujet de droit.

 

  1. Désignation d’une branche du droit 

 

La première démarche consiste à identifier une branche du droit : le droit de la consommation.

 

Cette première tâche est particulièrement délicate. Le droit s’articule généralement autour de préceptes simples : le droit civil, droit commun, appréhende l’homme pour et par ce qu’il est. Les autres branches le saisissent par ce qu’il fait.

 

Or, le droit de la consommation perturbe ce simple ordonnancement. Car il saisit l’homme à la fois par ce qu’il est et par ce qu’il fait. Nous sommes tous consommateurs, s’écriait Romain Loir, mais nous ne sommes pas que cela. Autrement dit, la matière s’isole d’abord, à l’aide d’un critère purement subjectif, mais aussi, et nécessairement, avec l’appoint d’un critère objectif.

 

Voici de quoi totalement perturber l’ordonnancement classique.

 

On conçoit, dès lors, que, dans les nimbes, le droit de la consommation ait peiné à apparaître, à s’extirper d’un carcan dans lequel il pouvait, ontologiquement, se couler : dans le droit commun, avec lequel il partageait la vocation à saisir tous les hommes, tous les sujets de droit, dans les droits spéciaux, avec lesquels il communiait, saisissant l’homme par ses actes, acceptant comme sujet un morceau d’homme, un homme incomplet, appréhendé dans l’une de ses activités, essentielles, certes, mais reflétant une approche parcellaire du sujet de droit.

 

 L’émergence du droit de la consommation est le fruit d’une œuvre de performance. Il s’est agi d’extirper la matière d’une gangue qui l’acceptait naturellement mais imparfaitement.

 

Mais on comprend aisément que cette émergence, cette désignation d’une branche spécifique du droit, passait par l’identification des sujets et les débats de ces deux jours ont montré combien cette identification était chose peu aisée.

 

 

 

  1. Désignation du sujet de droit

 

La désignation du sujet de droit, destinataire de la norme consumériste, est chose délicate, Jean-Baptiste Seube nous en a convaincu dès hier matin et Mustapha Mekki l’a mis en évidence ce matin, en évoquant l’exemple français relatif au consommateur emprunteur, ou au consommateur caution, hypothèse dans laquelle la désignation du sujet protégé est singulièrement difficile..

On le vit, en leitmotiv, à travers les diverses interventions qui ponctuèrent ce colloque.

Qui désigner comme bénéficiaire de la norme spéciale ?

La personne physique, certes, ce consommateur moyen évoqué par Maître Ribot, ce bourgeois cravaté évoqué par Maître Robert ce matin, mais cette qualité ne suffit point pour être l’heureux élu. Encore faut-il que l’acte appréhendé mérite d’être vu comme un acte de consommation.

 

On comprend, alors, les difficultés rencontrées par nos législations pour définir le consommateur. Sur ce point, de lege lata, France et Maurice n’ont pas appréhendé la difficulté de la même manière. La France finit, certes, sur invitation de Bruxelles, par donner une définition générique et unique du consommateur, au frontispice du Code de la consommation. Maurice a préféré égrener diverses définitions du consommateur, à l’occasion de chaque texte spécifique qu’elle entérinait. Monsieur Sabir Kadel la parfaitement exprimé hier matin, Act après act, le législateur mauricien livre son acception du destinataire de la norme, propre à chaque texte adopté. Et, il omet même, parfois de livrer ce travail d’identification. Ce fut le cas dans l’Act de 1991, où, nous dit Monsieur Kadel, le consommateur y fait figure d’arlésienne.

 

Difficulté supplémentaire : le monde du droit de la consommation ne connaît pas que des personnes physiques. Peut-il ignorer les personnes morales, fiction heureuse, qui hantent le monde réel ?

La personne morale a un cœur. La Cour de cassation française n’hésite même pas à admettre qu’elle puisse souffrir d’un préjudice moral. Et le droit de la consommation n’est pas hermétique face à ses suppliques. Pascal Puig l’a parfaitement dit : le consommateur acheteur peut être une personne morale qualifiée alors de non-professionnel.

 

On pressent combien est déterminante l’identification précise du destinataire de la norme.

C’est la lisibilité, plus, la légitimité même du droit de la consommation qui est ici en cause.

 

Mais ceci suppose aussi d’entendre restrictivement, juridiquement et non économiquement, la notion de consommateur ou encore celle d’acte de consommation. Etre le dernier maillon de la chaîne ne suffit point pour être élu.

 

Il faut être le dernier maillon de la chaîne, mais en situation de faiblesse ou de fragilité face à son contractant, pour mériter protection. Le client n’est, hélas, pas toujours roi, nous dit Monsieur Tengur.  Potentiellement, cela fait beaucoup d’appelés. A chaque législateur national de décider si tous les appelés doivent être élus.

 

 

Peu important le choix qui sera finalement fait. Mais il faut choisir, et définir ce consommateur sujet et objet des attentions du droit de la consommation. Et il faut le définir de manière unitaire, pour prévenir toute confusion.

 

Un vieux maître de l’Université française disait toujours qu’il vaut mieux débuter par définir si l’on ne veut finir par buter.

 

Ce préalable de définition du sujet du droit de la consommation est indispensable à l’émergence de cette branche et à sa coexistence pacifique avec les autres branches du droit.

 

Ces autres branches qu’il faut intégrer dans le raisonnement, car il faut camper le droit de la consommation dans un décor bien chargé.

 

 

B.     La distinction

 

Après la désignation, la distinction.

 

On ne peut sans doute aller jusqu’à affirmer l’autonomie du droit de la consommation.

Boriziewikz, disait de l’autonomie qu’elle est synonyme de dénuement et de misère pour une branche du droit.

 

Et les travaux de ce colloque ont montré combien était vivifiante la relation du droit de la consommation avec les autres branches de droit spéciales, mais aussi avec le droit commun.

 

  1. Relation avec les autres branches de droit spéciales

 

Que serait le droit de la consommation s’il n’était irrigué par la sève qui nourrit les autres droits spéciaux ?

 

Songeons au lien naturel, insécable, que le droit de la consommation entretient avec le droit pénal. Romain Ollard en dessina une magnifique fresque.

 

Fresque, au demeurant, révélatrice de la dépendance du droit de la consommation. Romain Ollard a montré combien le droit pénal classique, non entièrement ordonné au rapport de consommation, s’avérait être le plus fidèle et efficace allié d’un droit soucieux de protection du faible consommateur. Le dispositif sanctionnateur, spécifiquement ordonné à la protection du consommateur, est d’un médiocre rendement, nous dit Romain Ollard. Beaucoup de classements sans suite, peu de poursuites, ce que confirma Madame Moutou Leckning. En revanche, le droit pénal que l’on qualifierait de général, non spécifiquement ordonné au rapport de consommation, déploie bien plus énergiquement ses effets bénéfiques sur le rapport de consommation. Pas question que notre branche, enfin désignée, se prive de cet aliment.

 

C’est encore la dimension processuelle qui ajoute, d’une manière profitable, aux prévisions du droit de la consommation.

 

Ce dernier ne peut se passer d’une mise en œuvre procédurale des droits subjectifs efficace et effective.

 

Et la problématique a été parfaitement dessinée par Soraya Amrani-Mekki : la dimension processuelle participe-t-elle de la substance même du droit de la consommation, ou bien doit-elle être vue comme participant d’une branche différente, au service du droit de la consommation ?

 

Plus récemment, c’est à une sorte de publicisation de la matière que l’on put assister, les sanctions administratives venant à la rescousse pour affermir l’effectivité du droit de la consommation. Romain Loir y a insisté.

 

Droit spécial, le droit de la consommation coexiste avec d’autres droits spéciaux, qui le servent et l’appuient, oeuvrent à côté de lui mais pour lui au soutien des fins qu’il s’assigne.

 

La relation avec les autres droits spéciaux est une relation obligée, comme l’est la relation du droit de la consommation avec le droit commun.

 

 

  1. Relation avec le droit commun

 

La relation du droit de la consommation avec le droit commun ne va pas de soi, Jean-Baptiste Seube l’a parfaitement révélé quand il a souligné la cassure qu’engendrait ce droit avec la philosophie libérale qui anime le droit des contrats des pays occidentaux.

 

En outre, ajouté au droit commun, le droit de la consommation risque d’engendrer un empilement de normes, phénomène relevé par Pascal Puig à propos des prérogatives du consommateur acquéreur.

 

Mais si l’on peut admettre une tendance à l’autonomisation du droit de la consommation, relevée par Monsieur Matadeen dans son allocution, on ne peut cependant souhaiter une rupture totale des liens entre le droit commun et le droit de la consommation. La branche ne peut être séparée du tronc. Au demeurant, la sève qui alimente l’une et l’autre n’est pas de nature différente.

 

Il y a, dans le droit civil, un droit de la consommation qui veille. Mustapha Mekki l’a parfaitement révélé, quand il appela, avec Jean-Baptiste Seube à plus et mieux recourir au droit commun, notamment dans l’attente de l’avènement des projets de 2013 et de 2014.

 

Les Mauriciens l’ont pleinement compris, qui envisagent d’intégrer dans le code civil des dispositions relatives au crédit, mobilier et immobilier. Le Docteur Georgijevic a souligné cette insertion de l’avant projet dans le code civil mauricien. Cela ne choquera nullement de voir intégrer au Code civil un tel dispositif, même si cela impose, nécessairement, de repenser la notion de droit commun, et de repenser le droit civil comme droit commun. Car le droit civil ne peut, par principe, souffrir d’intégrer en lui un postulat d’inégalité. Saisissant l’homme pour ce qu’il est, il ne peut accepter d’opérer une différence, une discrimination entre ses sujets. La logique du droit de la consommation semble heurter ce postulat, imposant au droit commun d’entériner un postulat d’inégalité. Mais le droit commun est sans doute suffisamment malléable pour l’intégrer sans trop de heurt.

 

Notons, au passage, que la récente réforme du droit commun des contrats et des obligations en France a intégré dans ses prévisions une certaine logique consumériste. Cela devrait naturellement conduire à une réflexion sur une redéfinition du droit de la consommation, pris comme branche spécifique, aux fins de mieux assurer l’harmonisation des différentes branches du droit.

On peut regretter qu’une telle réflexion n’ait pas eu lieu, et que le droit de la consommation ait été recodifié, comme l’évoquait Mustapha Mekki au début de son propos,  sans que ne soit prise en considération la réforme d’ampleur du droit commun.

 

Avec le droit commun il y a, certes, des ruptures obligées, notamment en ce que ce dernier est, pour l’essentiel supplétif, tandis que la protection de la partie faible justifie un impératif, nous disaient Laurent Leveneur et Romain Loir. Maître Namdarkhan a décliné cette question au regard des clauses définissant le droit applicable, et appelé de ses vœux une réglementation impérative permettant d’éviter que la société étrangère, par une clause opportune, ne prive le consommateur du dispositif national protecteur.

 

 

Il reste cependant certain que droit commun et droit de la consommation sont appelés à coexister, à œuvrer ensemble afin d’assurer le progrès de la justice, au sens aristotélicien du terme, une justice commutative oeuvrant au rééquilibrage des rapports contractuels, rééquilibrage au service d’une société pacifiée et apaisée.

 

La désignation du droit de la consommation fut bien une tâche dont tous les intervenants furent investis, comme un préalable à leur réflexion sur l’érection d’un droit de la consommation.

 

 

 

 

 

II-                L’érection d’un droit

 

Ce colloque vient à point nommé. Maurice œuvre à la refonte de son droit de la consommation, réfléchit à une réforme, nous dit Jean-Baptiste Seube. Et monsieur Sabir Kadel a abondé en ce sens, soulignant que les textes actuels, plutôt focalisés sur la technicité du produit n’assuraient pas une protection suffisante du consommateur.

 

Cette tâche est un fardeau immense, souligna Maître Ribot, présidant la table ronde d’hier après-midi.

 

Non que le droit positif mauricien ignore cette dimension : il fut dit, dans l’assistance, que 72 textes appréhendaient la question de la protection du consommateur, immédiatement ou médiatement.

Mais le souci de rationalisation et de cohérence de la matière anime les juristes mauriciens, souci relayé par les travaux de la commission de réforme depuis 2010, insista Jean-Baptiste Seube.

 

On comprend les hésitations mauriciennes, à la veille de repenser et de reformuler un droit de la consommation.

 

Et au fond, la réforme est-elle nécessaire ? La hardiesse jurisprudentielle, faisant feu de tout bois à l’aide des dispositions existantes, ne suffirait-elle pas à répondre aux attentes légitimes des consommateurs ? Jean-Baptiste Seube l’envisagea, appelant à l’imagination créatrice des magistrats.

 

La réflexion vaut mieux que la précipitation. Un juriste français peut sans doute l’exprimer librement, quand son pays souffre de ce que le Doyen Cornu appelait la législation permanente.

 

Il n’est pas ici question de proposer les bases d’un code de légistique, que le législateur français aurait bien fait de consulter avant de s’emparer du sort du consommateur caution, nous dit Mustapha Mekki, code délivrant les préceptes d’une bonne législation, Romain Ollard a aussi insisté sur la piètre qualité de la législation consumériste. Il suffit seulement de relever les apports des contributeurs sur ce que pourrait être le droit de la consommation à Maurice.

 

Et cette perspective suppose que soient réglées des questions de forme (A) et de fond (B).

 

 

A.                 La forme

 

La forme, tout d’abord. Jean-Baptiste Seube nous en avertit immédiatement : On ne pouvait échapper à ce débat en un lieu qui constitue le creuset d’aspirations si différentes, agrégeant l’esprit continental à la dynamique de la common law. La question fut lancinante : faut-il codifier le droit de la consommation à Maurice ? question immédiatement posée par Me P.D. Lallah, présidant la table ronde d’hier matin.

 

Et l’on vit bien jaillir deux écoles, l’une favorable à la multiplicité des instruments législatifs destinés à nourrir un droit de la consommation, l’autre favorable à l’unité, à la technique de la codification, bref, à l’avènement d’un instrumentum.

 

1.                  Des instrumentum

 

Le procédé est, et pourrait être.

 

Soulignons, tout d’abord, qu’il a été en France, au moins jusqu’à la codification du droit de la consommation en 1993. La matière était jusqu’alors, sous l’emprise de textes spécifiques et disparates, nés à différentes époques, mus par des aspirations parfois différentes. Un chaos des espèces, dont on s’est satisfait longtemps.

 

Telle est aussi la situation à Maurice, rappelée, notamment, par Monsieur Sabir Kadel. Un droit de la consommation peut y être révélé au prix d’un rapprochement de nombreux actes législatifs, dont la somme peut être appréhendée d’une façon globale, comme constitutive d’un tout, d’une branche spécifique.

 

Et tel pourrait bien être, demain, le statu quo mauricien.

La perspective d’un droit de la consommation nourri par des actes isolés et multiples a été esquissée par Monsieur Jean-Louis, pour qui le recours au Code serait difficilement compatible avec la tradition juridique mauricienne. Mais, au fond, cette perspective est-elle si éloignée de la notion de code ?

Si ces textes sont animés par une même vision, mus par une même fin, gouverné par une même définition de leur domaine, nous aurions un code sans code, la substance d’un code sans le substrat : l’idée de codification sans la codification.

 

L’envie pourrait, dès lors, légitimement poindre de donner une forme qui corresponde à l’idée, et de privilégier un instrumentum.

 

 

2.                  Un instrumentum

 

Un instrumentum : un code.

Personne n’a renié les vertus de la codification. Madame Moutou Leckning, notamment, l’appela de ses vœux.  La codification, il est vrai, présente d’extraordinaire vertu, notamment en ce quelle favorise l’accès à la norme.

Mais l’idée de codification peut se matérialiser de différentes façons.

A la codification compilation sera opposée la codification réelle, codification modification aurait dit Golab, qui permet d’innerver la substance d’un seul souffle, d’une même âme.

 

Beaucoup, sans doute, auront été sensibles aux arguments favorables à la codification, émanant tant des intervenants que des participants. Et, à la réflexion, Maurice a parfaitement démontré, depuis des lustres, que cette méthode, issue de la tradition continentale, s’acoquinait parfaitement avec les préceptes de la common law.

 

La codification du droit de la consommation à Maurice pourrait être le signe d’une possible et parfaite compénétration des systèmes juridiques. Maurice serait à elle seule la synthèse des aspirations anglo-saxonnes et des préoccupations continentales.

 

Mais la forme n’est rien sans le fond

 

 

B.                 Le fond

 

Le droit de la consommation, peut-être exprimé en un code, doit être bâti sur de solides fondations. Ceci impose de définir ses fins, avant de dessiner les moyens devant être mis en œuvre pour y parvenir.

 

1.                  Les fins

 

L’accord sur les fins est acquis. Nombreux furent les intervenants à les présenter. Pascal Puig en fit une magnifique synthèse à partir d’une figure contractuelle qui résume à elle seule toutes les préoccupations du droit de la consommation. Il faut œuvrer à un consentement du consommateur éclairé par le professionnel, réfléchi par le consommateur, et approfondir la protection de ce dernier au stade de l’exécution du contrat. C’est ce même mouvement dans le temps que suivit Goran Georgijevic.

 

Romain Loir a résumé ces fins en quatre mots : équilibre (le mot fut aussi dans la bouche de Monsieur Chellum), protection, loyauté, sécurité.

Et Monsieur Sabir Kadel, lors de la deuxième table ronde, nous convainquit de l’enjeu macro juridique et économique de la protection des consommateurs. Par elle, c’est aussi le dynamisme du marché que l’on sert et que l’on préserve. Soraya Amrani-Mekki l’a très bien souligné : protéger le consommateur, c’est aussi rassurer le marché.

 

Et puis, il est des finalités plus particulières pour les différentes sous-branches composant le droit de la consommation ; Mustapha Mekki érigea aussi, en finalité du droit de la consommation, la quête d’équilibre, entre protection du consommateur emprunteur et préservation des intérêts de l’établissement de crédit. Et Maître Ribot a montré aussi les finalités spécifiques du droit applicable au consommateur de prestation juridique.

Il a souligné notamment que l’une des questions majeures posées en ce domaine est celui du coût de la prestation juridique, question différemment traitée à Maurice selon les professions concernées, avocat, avoué ou notaire.

Maître Bundhun évoquant également la question du paiement des honoraires, a pu nous rassurer. Vieillir n’engendre pas que des inconvénients. Pour le professionnel du droit, vieillir permet d’être mieux rémunéré !

Il n’y a que les notaires qui traversent les âges sans que ceci n’agisse sur leur rémunération. Maître Sawmynaden a rappelé, en début de table ronde de la matinée, avant d’endosser sa qualité de Présidente, que le notariat était une profession réglementée et qu’un barème était, ne varietur, établi. Pour les autres, Maître Robert l’a clairement dit : il n’y a pas de montant déterminé, mais en revanche, les principes qui encadre la rémunération sont clairement établis.

 

Des fins, générales ou plus spécifiques, et des moyens ordonnés à ces fins.

 

 

2.                  Les moyens

 

 

Quant aux moyens, il est clair que ceux-ci sont, au moins, de deux ordres : d’ordre procédural, tout d’abord, d’ordre substantiel, ensuite.

 

Procédural : Le droit substantiel ne peut s’épanouir sans le droit processuel a si joliment dit Soraya Amrani Mekki.

 

Maître P.D. Lallah dressa l’exact constat : les voies judiciaires classiques ne sont pas adaptées aux litiges de consommation ; constat d’une ineffectivité partagé avec Soraya Amrani Mekki ;  l’effectivité du droit de la consommation suppose, sans doute, un passage de l’individuel au collectif. Le consommateur isolé pourra longtemps ressasser sa rancœur, mais agira-t-il, s’interrogeait Jean-Baptiste Seube ? De minimis non curat praetor. Et puis, la procédure, c’est un coût, c’est du temps, a souligné Monsieur Tengur.

 

L’union fait la force, affirma fortement Soraya Amrani Mekki, et ceci se traduit par l’avènement d’une logique procédurale collective, supplantant la conception classique de l’action individuelle. Les consommateurs se constituent en association, M. Matadeen le rappelait, et Monsieur Sabir Kadel lui fit écho, Monsieur Chellum, secrétaire général à l’ACIM, a montré l’utilité et la nécessité de cette défense des consommateurs par de telles associations, dans les rapports avec les professions juridiques et judiciaires. 

 

Cette force collective a naturellement, vocation à s’exprimer judiciairement.

 

Le droit d’action prend une coloration nouvelle.

En France, il fut d’abord admis que les associations de consommateurs puissent agir afin de préserver les intérêts de la collectivité ; puis la loi Hamon, Maître P.D. Lallah l’a très bien rappelé, vint entériner la possibilité d’une class action, le groupe, la classe, oeuvrant cette fois au profit d’une multitude d’intérêts individuels, l’intérêt de chacun des membres de la classe.

 

Maurice, nous dit Goran Georgijevic, a intégré les small claims procedures, au-dessous de 25.000 roupies, mais, selon lui, cela est sans doute insuffisant pour protéger le consommateur. Et les magistrats des tribunaux de district s’érigent en juge de paix, invités à livrer une action de conciliation, nous dit Maître Bundhun.

 

Maurice réfléchit alors à la création d’une juridiction spécifique, chargée des litiges de consommation, Jean-Baptiste Seube l’a évoqué, ainsi que Monsieur Tengur, comme à l’introduction des actions collectives, rappella Goran Georgijevic, même si Maurice connut, dans le passé, hors les textes, une forme d’action collective.

 

Et comment passer sous silence l’avènement, en la matière des modes alternatifs de règlement des litiges, dont l’importance a été soulignée tant par Monsieur Kadel, par Goran Georgijevic, que par Monsieur Chellum qui envisage la création d’un legal ombudsman. Soraya Amrani Mekki a bien expliqué la raison profonde de la promotion des modes alternatifs : désencombrer les rôles…

 

La commission de réforme songe aussi à promouvoir la médiation en matière de litige de consommation, mécanisme flexible, nous dit-on.

 

Moyens d’ordre procédural, donc, mais aussi moyens d’ordre substantiel : unanimes furent les intervenants pour les définir : Mustappha Mekki l’a rappelé, il s’agit toujours de protéger le consentement et Goran Georgijevic s’en fit aussi l’écho relativement au projet de réforme du crédit ; il s’agit aussi d’assurer un équilibre contractuel.

 

Les techniques sont connues : information, réflexion, rétractation, clauses abusives etc.

 

Sans doute aboutira-t-on inéluctablement, au sein même de la branche, à l’édiction d’un droit commun de la consommation, et de droits spéciaux.  La démarche est déjà sensible, quand on ausculte les dispositions relatives à l’obligation d’information pesant sur le professionnel, qui se décline en un tronc commun et en des dispositions particulières, selon la nature du rapport contractuel, ou quand on envisage l’acte de consommation via internet, qui charrie un dispositif protecteur spécifique, Romain Loir, le rappelait. Mais il soulignait aussi que, finalement, très peu de dispositions étaient spécifiques à l’acte juridique via internet, ce qui montre, à nouveau, la structure interne du droit de la consommation, qui se décline lui-même en une pyramide glissant du général au spécial.

Maître Oozeer a montré combien l’acte juridique en ligne soulevait des difficultés, que le droit mauricien s’efforce déjà de résoudre, par du droit dur, notamment la loi sur la cybercriminalité de 2003, mais aussi par du droit mou, la soft law que prise, notamment, la Banque de Maurice.

 

Ces manifestations spéciales de l’obligation d’information se vérifient aussi à propos du consommateur de prestation juridique. Maître Bundhun a ainsi parfaitement convaincu de la nécessité, pour l’avocat, de bien préciser à son client la dualité d’acteurs et d’interlocuteurs – avocat et avoué–. 

 

Cette articulation interne se conçoit parfaitement, mais il faut éviter les écueils, et notamment ce que Mustapha Mekki a qualifié de pulvérisation des dispositions protectrices, à propos de l’information de la caution ou de l’emprunteur.

 

 

 

Mon temps est désormais consommé…

Maurice me pardonnera-t-elle cette si longue digression ? Je lui devais bien ça, lui infliger ce lourd palabre pour lui avouer ma flamme elle qui, en une seconde, un clic eut dit Romain Loir ou Maître Oozeer, m’a séduit et conquis.

 

 

 

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